PRIMEVERE – II
Une échappée en solitaire est souvent autant nécessaire qu’effrayante. Partir larguer les
amarres, avec cette question en sourdine : parle-t-on de se construire ou précisément de remettre en
question nos fondements ? Romain Benard a vécu l’aventure instinctive : celle où les premiers
émois mélodiques d’adolescents se transforment en hommage sans pastiche et qui, pas à pas,
deviennent des chansons. Avec sa sœur, ils ont voyagé pendant 10 ans sous le navire Ropoporose,
enchainant albums, concerts. Une chanson, un concert après l’autre, naturellement. D’extérieur cela
paraissait même trop facile. Mais même dans le registre du duo, ou les voix et intentions sont au
nombre de deux, il y a un moment une envie d’émancipation. Là est tout le risque de l’intime. Se
livrer sous son seul patronyme.
Romain est un être de lumière, du clan des sensibles. Ceux pour qui la poésie a un sens. Sans
pédantisme, les jeux d’apparats et de posture n’ont plus cure depuis l’adolescence. Avec ce disque, il
ne réalise pas un rêve de lycéen de Terminale Littéraire persuadé que ses anaphores sont une
éclaircie dans les ténèbres de l’obscurantisme. Il accepte seulement de les montrer et de les remettre
en forme via l’oeil grandi d’expériences, de celles qui nous enlèvent nos primes certitudes. Nombre
de ses obsessions sont présentes en filigrane : l’exigence vis à vis des autres êtres humains, le
sentiment amoureux comme réponse aux incantations du quotidien, la recherche de la classe sans se
dépareiller de bonhommie. Dandy sans jeu de miroir, ce disque est noble d’intentions. Il ne cherche
pas à époustoufler, à se la jouer roublard ; la production est calfeutrée, les mots sont choisis avec la
méticulosité de ceux qui les admirent. Romain a effectué cette croisière seul, comme un passage de
cap dans sa construction d’artiste. Batteur de formation, il interprète et enregistre ici lui-même
guitare, percussions, basse, synthés, voix. En ressortent 12 chansons de promenade, de pop
champêtre, d’un musicien qui a appris désormais à prendre le temps. Si les guitares sont sèches et
désaccordées, les ambiances ne sont jamais arides, Romain prenant toujours le soin de parfaitement
arroser son allée printanière intérieure. L’enjeu n’est pas ici de piétiner les roses, mais bien d’être
conscient de leur caractère éphémère et donc de sublimer les envolées de pétales.
Album de chansons pour qui ce terme signifie réellement quelque chose, cet essai est un
recueil. De nouvelles, de rencontres, de fantômes, d’espoirs. Romain convoque ses feux passés, son
admiration naïvement assumée d’adolescent pour Benjamin Biolay, autre frondeur et tête brûlée
d’une scène de la nouvelle chanson qu’il s’est amusé à torpiller. De cette influence lycéenne, il a
gardé ce caractère joueur, frondeur. Textuellement, comme chez Bertrand Belin, le choix des mots
dicte la direction musicale autant que le sens, s’échappant en zig-zag de la narration chansonnière.
Le duo avec Françoiz Breut est un manifeste des ambitions de ce disque : un manuscrit racé, qui ne
s’excuse pas de vouloir jouer de sa prose. Les chansons ne sont pas seulement des ritournelles qui
riment, nous permettant de nous occuper l’esprit au feu rouge, elles peuvent être des obsessions
saines qui hantent nos peaux. L’invitation de cette artiste témoigne d’un fil tenu de ce disque : ne
jamais s’excuser d’essayer de faire du beau. Pour opérer ce nouveau chapitre, Romain a donc
effectué le choix du Français, lui permettant de radicaliser sa pensée, tout en conservant son
verbiage mélodique empreint autant d’Arcadre Fire que de Sufjan Stevens. A l’heure ou son héros
de toujours Pete Doherty collabore avec Frédéric Lo et opère une incursion française, Romain
affirme son goût des mots et du décalage depuis son nouveau chez soi à Bruxelles. Comme si cet
exil lui avait permis de se libérer et de conjuguer son goût de la tragi-comédie avec le sérieux des
émotions.
La pochette de ce second album, peinte par l’artiste Julien Philips, sonne comme un premier
faire-part. Pas de place pour la métaphore, ce disque se veut sensible, ne cachant pas le « je »
derrière des figures de style. Au travers de ses chapitres, ce sont les dernières années de Romain
jeune adulte qui sont esquissées, un impressionnisme Rohmerien passant des pertes aux espoirs
naissants. Les clés de lecture ne sont pas immédiates, le disque se voulant volontairement pudique
tout en étant généreusement affable : en souvenirs, en moments de bascule. Romain réussit le
périlleux exercice d’un album de chansons : parler de soi de la manière la plus honnête possible et
sans emphase, ni création de personnage. Aucun beau rôle n’est attribué ici à la distribution, et c’est
la seule voie possible pour le générique de sa propre existence. Biolay a dérivé au moment ou il a
commencé à porter des costumes à paillettes trop outranciers et confondu l’oeil du tigre de Rocky
avec un drapeau de conquérant, quand celui-ci n’a toujours été qu’un outsider aux yeux de cocker, se
jetant dans les feux du ring pour gagner quelques larmes de fierté dans les yeux d’Adrienne.
Gageons que Romain ne se dépareille jamais de ses chemises à jabots et ceinture en boucle de
nounours, autant de dérision qui veulent tout dire : les coups seront toujours pris avec brio et les
reconquêtes dirigées vers le coeur.
JOCELYN BORDE